Yksin vs Sakutei II : Si votre Ramage se rapport à votre Cramage

C'était un peu comme l'appel d'une trompe dans la steppe. Mais en plus sourd. Un truc bien vibrant, un truc qui chatouille la plante des pieds dans les sandales. Un truc qui fait fuir les scorpions sous les pierres et les scarabées dans les bouches bées.

Et pour le vieux Sak qui roupillait tranquillement sa couenne à l'ombre de sa cahute, cet éternuement de volcan le fait carrément planter au bas de son hamac. Allons bon, dans quel monde vit-on si l'on ne peut plus se la couler sirupeuse sans subir la réincarnation d'un démon mineur ?

Grommelant une quelconque malédiction, le vacancier du désert fait sauter la perche de bois qu'il fait passer pour une arme de jet dans sa paume, boucle sa ceinture de peau où pendent divers accessoires osseux et s'en va vadrouiller sur les terres craquelées. Des terres maudites. Laminées de reliefs rocheux, de pics rouges et d'une saleté de vent qui envoie du sable dans les yeux.

Bon. A première vue, il suffit de suivre les rails. Ceux qui conduisent à la fabrique de la Lucie. Si un truc méphistophélique se manifeste dans le secteur, c'est forcément par là que ça se passe, près de cette Lucie du Fer. Les suppôtiques, c'est comme l'acné, ça éruptionne là où c'est bien voyant.

Le maraudeur voûté qu'est devenu le scribouillard paumé se lèche les lèvres plusieurs fois. Il passe sous les pâles mystérieuses des éoliennes de bronze, suit un moment la piste muqueuse d'un charognard, s'égare derrière une dune et finit par revenir longer les rails sous le soleil brûlant. La peau tannée par le père réchauffant.

Il fait soif sous le soleil des démons. L'enfer c'est joli en carte postale mais question d'y vivre, faut quand même avoir le gosier accroché. Le pire, c'est le soir, quand les fumerolles soufrées remontent des failles et qu'il faut rester au ras de l'eau pour pas s'asphyxier. Mais de l'eau, ma bonne dame, ici y'en a pas !

Voilà qu'un peu plus loin, il avise une paire de rochers vaillamment dressés de chaque côté de la voie.

Et dans sa tête, y'a comme une petite voix qui lui souffle :
- Viens donc t'enfiler dans la pénombre que je t'y glisse une embuscade de derrière les canyons.

C'était peut-être pas un démon. Peut-être juste un piège à curieux. Parfait. Il opine, tapote le manche de son petit javelot contre son mollet et s'engage dans le goulet avec bonhomie et au dernier moment, gueule avec enthousiasme son incantation protectrice :

- Tous les 4 à 6 me portent bonheur !

A peine quelques mots susurrés qui ricochent contre les pierres. Sakutei se fige, les bras ballant sans dignité. Son visage matois se plisse d'un vieux sourire de lèvres asséchées. Un rictus qui a vu d'autres jours, d'autres blizzards. Il se retourne d'un bloc et pointe sa petite pique à l'horizontale droit dans l'axe d'une échancrure de corsage qui ne manque pas de le déconcentrer le temps de quelques papillonnements.

Il perd quelques secondes larmoyantes dans un coup de vent abrasif. Une boule de suif vient de surgir des ombres avec un croissant de dents blanches, des mèches claires et la démonstration sans équivoque possible que l'on peut être maculée de cendre et garder sa féminité.

Le Sak se balance d'un pied sur l'autre, épieu en pogne. La détrousseuse du nord s'est égarée dans un enfer bouillonnant ? Formidable ! Il faut célébrer à coups de phalanges ! Choquez cartilages, craquez articulations ! Déliement des épaules. Décoinçage de vertèbres. Il brandit un poing fermé devant cette mignonne frimousse crasseuse. Ça fait si longtemps... Bon sang, c'est le moment de dire quelque chose de magistral.

- Yksin... joli sourire… on peut toucher ?

Et c'est bien connu, quand on touche, on ne regarde pas ! Ou bien c'était l'inverse… peu importe, ici tout est chaviré. Ce qui fait que, pas vraiment déstabilisé par l'arrivée sournoise de cette lupuline adversaire, Sakutei ne perd même pas le temps de la bravade pour lancer son assaut. Avant même d'en avoir finit avec le décompte, trois, deux…

- 'Trape !

Chlack ! Il détend son bras droit et lui expédie son javelot d'un geste sec et rapide qui manque de le déséquilibrer. En arrière plan, une gueule de géhenne éclot dans le désert et lâche une colonne de flammes avant de se rétracter. Le danger est partout ! Ce combat pourrait bien réserver d'autres surprises qu'une voleuse cendrée surgie de nulle part.

Ah ah ! Avantage tactique ! Maintenant désarmée, la voilà contrainte de se replier à la va-vite. Sakutei qui reprend encore son souffle prend le temps de se redresser et se paye même le luxe bravache d'épousseter un brin sa tunique d'un air détaché.
Il transpire à grosses gouttes et souffre d'une légère difficulté respiratoire mais pour le moment, c'est plutôt bonnard. Un sourire barré en travers du faciès, il s'avance vers les pierres qui servent de refuge à son adversaire.

Voyons voir, qu'est ce qu'il devrait dire… on a les classiques "c'est tout ce que t'as ?", "te cacher ne servira à rien" et autres "tu ne peux pas m'échapper". Mais ça manque d'originalité. Alors il surgit d'un coup derrière le rocher, lame dardée sur le côté et lâche un demi :

- On m'appelle le poinconneur des… oh merde.

Elle n'est pas là ! Il relève la tête juste à temps pour admirer le gros plan de sa semelle qui lui débaroule sur la tronche. Il se la mange en pleine figure, tombe à la renverse. Un cri rauque s'échappe de ses lèvres lorsqu'il sent la morsure douloureuse d'une pointe dans le ventre. Il roule sur le côté mais ne peut éviter un autre coup qui lui entaille la joue sur toute la largeur.
Il continue à rouler et puis change brutalement de sens mais faudrait être veinard pour penser la surprendre comme ça. Elle l'évite d'un bond et pour sa peine, il écope d'une mandale dans les dents. Sa tête rebondit sur le sol, il se ramasse et parvient à se ménager un espace vital en battant furieusement des bras et des jambes sans aucune classe, non vraiment aucune.
Dans sa mêlée déguingandée, une sandale voltige, il parvient quand même à se remettre sur un genou et accuse le coup lorsque sa main palpe le tissu empoissé qui lui colle à la plaie. Maculé de poussière rendue gluante par le sang. Bon heureusement, elle taillade pas trop profond... Mais quand même. Il grimace, bloque son souffle et charge sans préavis.
Son attaque ricoche, échec. Vlan ! Il pare un coup sifflant, détourne, tente une bourrade parvient presque à l'attraper par le col au passage. Presque. Dommage. Une ombre sur la droite, il sursaute d'un réflexe et parvient à se jeter en arrière.

- Bon c'est un dicton, plus elles sont courtes, plus tu vas vite c'est ça hein…

Il fait tourner la poignée du kukri pour l'attraper à l'envers et croise les bras devant sa poitrine. Son idée maintenant c'est de forcer le contact. Un peu comme la dernière fois. Il toujours a l'avantage de la robustesse, elle compense par son agilité. S'il parvient à la priver de mouvements…
C'est bon, plan valide, impeccable, ça marche. Pas le temps de finasser les détails. Il baisse la tête, laisse tomber quelques mèches dans ses yeux fous et fonce.

Un cri de guerre mémorable en fond de gorge, Sakutei opte maintenant pour la carte des vins. Option grand crus vieillis en fûts de chêne (c'est plus lourd). Dur en bouche au début, il faudra qu'il accepte de se prendre un autre coup de dague. Puis viendront les arômes, il faudra qu'il parvienne à lui immobiliser le poignet et riposte là où sa compte déjà : dans la cuisse ! Un bon vin ça a toujours de la cuisse.