La signature de l'Apostat

[hrp : tiouf ! Quelle émotion ! C'est comme replonger la tête dans le tiroir à chaussettes des souvenirs en pagaille... Note, propre, les chaussettes.]

Alors qu'Yksin emboîtait le dernier volume, entortillée par cette étrange nervosité serpentine violette moche, un genre de grand gargouillement se fit entendre. Comme la flatulence asséchée d'une bibliothèque projetée à travers les pages de dizaines de bouquins poussiéreux. Et ça, d'un coup, de la poudre grise, y'en tomba de partout. Des morceaux de mortiers, des copeaux de bois, des bris de pierre. A croire que la pièce était sur le point de s'effondrer sur elle-même ! C'était incohérent, ils n'avaient même pas encore tué le locataire en chef de ces lieux. Il y a des lois très précises qui régissent l'écroulement des tanières de monstres millénaires. Et en ce qui concerne le temple de Karh’ Arh, on pourrait même dire qu'il y avait prescription depuis le temps. Aucune des pierres noires n'avait été délogée en cinq siècles, alors pourquoi à ce moment précis ?

Et bien tout simplement, pour ouvrir le passage. Définitivement, l'Apostat était du genre pointilleux sur le décorum et une porte secrète, ça s'ouvre avec fracas. Les inscriptions sinueuses remises d'aplomb, la bibliothèque se mit à briller d'un éclat aveuglant sur toutes les coutures dorées de ces foutus grimoires. Comme une marelle maudite ou un filament de métal porté à fusion.
L'image rémanente se colla au fond des yeux, un pénible entrelacement qui flanquait un mal de tête de tous les diables. La figure était familière au garou mal léché. Et fort heureux-satan, elle n'était pas complète.

En clignant des yeux, il grimaça :

- Tu l'as reconnue hein… c'est sa Signature… une partie… on est dans la caille.

C'était tout à la fois un signe encourageant et suicidaire. Sakutei regarda Sid qui regardait Yksin, laquelle était sous le choc. Quoi de plus normal, il se passait des choses très troublantes dans ce temple depuis le début. Cela dit, lorsque le sorcier vampire s'approcha avec plein de sollicitude pour tapoter la voleuse ébouriffée sur l'épaule, Sakutei le bouscula sans vergogne et s'octroya l'initiative en lui posant deux pattes sur ses biceps noués de nervosité.

- Oh. Ça va ?

Dans cette position, il pouvait la secouer. Mais il pouvait aussi s'en prendre un dans les burnes. Donc il décida de rester souple et ouvert d'esprit.
Puis il tourna son regard vers les rayonnages. Apparemment rien n'avait bougé. Mais comme un jeu de superposition, sans doute à cause de ce glyphe dans les rétines, on remarquait une ouverture en arc de cercle. Assez basse, le genre vieille voûte antique. Plus ancienne que le temple sans doute.
Sakutei cligna des yeux et examina plus attentivement l'ouverture obscure -bien sûr- d'où ne montait pour le moment, aucun son. Pas même le genre de respiration sourde qu'on s'attendrait à trouver dans un corridor abandonné. Autre fait notable, pas la moindre toile d'araignée.
Sid, bravache, pointa le trou du doigt et lança d'un air désinvolte.

- Joli tour de passe-passe pour un vieux tas de pierres.

Répondant d'un simple grognement, le lycan lâcha finalement les épaules d'Yksin et se déporta de quelques pas. Evidemment, il faudrait faire acte de foi pour se lancer là dedans avec les livres en surimpression… qui eux, avaient l'air diablement consistants. En guise de test, il passa la main au travers sans rencontrer de résistance. Ça passait.

- J'suis quand même un brin inquiet… ce coup de serpents violacés… c'est un peu l'invitation du croque-mitaine.
- Pétochard !
- Tiens bonne idée, vas-y toi.

Dans un duel de ce genre, personne ne se débine. Le Sid fut bien forcé de poser un pied dans le passage et sous les yeux ébahis de Sak, disparu totalement.

- Ah bah merde….

Ce qui somme toute, était une bonne appréciation de la situation.

***

Après le fanfaron, voilà que la roublarde s'y mettait aussi. A peine Sakutei relevait-il les yeux sur Yksin qu'elle décollait les talons et s'enfilait dans ce qu'il convenait sans doute d'appeler "le tunnel de l'Apostat". Ou peut-être mieux, "le boyau des ténèbres", ou encore "l'intestin du prêtre apocryphe qui laisse des griffes un peu partout comme des graffitis". Bref, un sale colon… quand à savoir dans quelle merde ça débouchait, c'était une autre paire de manches.

Et justement, la tunique roulée sur les avant-bras, Sakutei arpentait le sol dallé avec précaution, la langue entre les lèvres. Ce n'était pas tant qu'il était du genre frileux, mais quand même, s'engager dans ce truc foutrement trop magique pour être honnête, ça vous pousse la bébête à la réflexion. Mais finalement, il finit par se décider. Pour l'honneur, pour la fierté, pour ne pas rester en retrait si tout le monde se faisait déchiqueter par une goule affamée et enfin –et c'est peut-être le levier le long- pour ne pas laisser ce fumier de Sid (ou ce qu'il en resterait) tout seul avec Yksin (ou ce qu'il en resterait aussi).

Un grognement pour lui relever les babines, il prit une onde de respiration à s'en claquer les poumons et fonça dans le trou tête baissée.

- Arrho sur le trou des ténèbres !!

Affreusement flippant. Passer là dedans, c'était comme se faire picorer par une légions de petits araignées trop agiles pour le regard, trop rapide pour la main et trop venimeuses pour laisser indifférent. Douloureusement inconfortable. C'était comme se faire coller la langue sur une pellicule de glace à moitié fondue. Désorientant. C'était comme changer de sexe… mais en moins bien.

Mais finalement, il déboucha de l'autre côté. Ou du moins ce qui semblait être un autre côté. A savoir : la même pièce. Exactement la même ! Purée ! C'était bien la peine d'en faire tout un plat. Mais à bien y regarder, quelques détails choquaient le regard.

Pour commencer, l'inversion symétrique systématique de tous les éléments du mobilier. En fait, l'antichambre dans laquelle ils venaient de remettre les pieds était en quelque sorte la projection de la précédente dans un miroir. Sid était là, Yksin aussi, ainsi que les deux trois bouquins jetés à travers l'ouverture sur le sol. Sakutei se gratta la nuque, exsudant d'une abondante nervosité.

- J'me sens pas particulièrement à l'aise là…

Et justement en parlant de choses qui filent le cafard. Il remarqua ce qui le démangeait entre les sourcils au moment où il posa son regard sur le visage de sa compagne vampire. Il n'y avait pas que la pièce qui avait changé… La voleuse était également le reflet d'elle-même. Ses traits étaient inversés ! Très perturbant… assez pour faire grincer des molaires.

Sakutei rabaissa sa main gauche prise d'un incontrôlable tremblement. Et là il remarqua l'étrangeté ; il était droitier avant de passer le miroir.

- Bastrerie-de-bile-truffée ! Qu'est ce que c'est que cette entourloupe ?!
Et bien sûr, comme un malheur n'arrive jamais seul :
- Ah ! Le toutou a enfin remarqué que l'envers et l'endroit se sont détournés ! (Il lève les deux bras, théâtral). C'est pourtant évident, l'Apostat pose ses propres règles !

Sakutei détacha soigneusement chacune des syllabes avec une précision de mangeur de fruit à noyau :

- Va. Te. Faire. Foutre. (Puis très rapidement.). Yksin, qu'est ce que t'en penses ? On retourne dans le temple à l'endroit où on tente une exploration de l'envers du décor ? J'avoue que j'ai un peu le trac… J'dirais bien qu'on devrait tenter de passer dans le couloir suivant pour voir si la suite est fidèle à l'originale mais je me méfie des crasses de l'Apostat. Peut-être qu'on fonce droit dans un piège à crétins. Auquel cas on devrait peut-être laisser Sid ici pour éviter de le déclencher…